1944 : les Haut-Marnais libèrent Bondeval
Deux jours après le meurtrier baptême du feu du plateau de Grattery, le 1er bataillon du 21e régiment d'infanterie coloniale, composé de volontaires haut-marnais, poursuit sa progression. Nouvel obstacle sur sa route : le village de Bondeval, à la frontière franco-suisse... 17 novembre 1944 Au petit matin, le I/21e RIC, relevé par les 4e et 6e bataillons du Lomont, est regroupé à Ecurcey. Y compris la section de mitrailleuses Ance et les mortiers de 81 de la CA, qui avaient été détachés auprès du groupement Lacheroy. Pour sa part, la section de mitrailleuses de la CA 3 retrouve son bataillon. Ecurcey a été conquis deux jours plus tôt par le I/9e Zouaves, au prix de très lourdes pertes : 39 tués (dont deux officiers) et 68 blessés. « Nous voyons de nombreux trous creusés par des obus au phosphore. Nous prenons position à proximité du cimetière. Dans les champs, des cadavres jonchent le sol. Ca sent mauvais. Heureusement qu'il fait froid et que la neige recouvre en partie le sol » (caporal Seigle, 2e compagnie). « Dans un jardin sont alignés une quinzaine de cadavres portant notre uniforme. Je les regarde sans m'approcher. Certains sont restés dans une attitude ou un état tout à fait effroyables. Ils sont recouverts par une mince couche de givre. C'est triste » (caporal Maire, 1ère compagnie). Si le I/21e RIC est rassemblé dans ce village, c'est pour mieux reprendre la progression en direction de Seloncourt. Objectifs : conquérir ce que le journal du bataillon nomme la croupe mamelonnée de Bondeval, puis ce village, enfin Beaulieu. Le mouvement est exécuté aux environs de 14 h. Dans l'ordre : la 1ère compagnie, la 2e, la CA, enfin la 3e. « Nous reprenons la route, le sac au dos, en colonne par un », témoigne le caporal Maire, dont la compagnie progresse sur la droite de la route départementale 35. « Après quelques kilomètres, nous atteignons un bois. » Il s'agit du bois Planchet. « Il semble que des chars soient déjà passés. On voit des traces de chenilles. Un ordre circule : « Disposition de combat » (l'arme sous le bras). Tout est calme. Nous avançons. Nous rattrapons nos chars qui sont arrêtés un peu avant la sortie du bois. Nous nous arrêtons aussi. Une patrouille est partie en reconnaissance dans le terrain vague qui fait suite au bois. Rien à signaler, semble-t-il, et nous pouvons avancer en quittant la protection de la forêt. » De son côté, la 2e compagnie est axée sur la gauche et progresse dans la lande boisée Nord du bois Planchet, situé « à 1 km de la crête d'où nous voyons les premières maisons de Bondeval », témoigne le caporal Seigle. « Nous nous déployons sur un terrain découvert, parsemé de quelques buissons, poursuit Jean Maire. La progression s'effectue normalement, sans problème. Soudain, le silence est rompu par une intense mitraille... » Ce sont des rafales de mitrailleuses de 20 mm qui s'abattent sur les marsouins, « à 16 h » selon André Herdalot, de la 2e compagnie. « En un clin d'oeil, raconte Jean Maire, tout le monde est à plat ventre. Il est pratiquement impossible de se camoufler, et chacun cherche le moindre sillon qui peut l'abriter assez illusoirement des balles. Mon groupe est parmi les plus avancés, et heureusement pour nous, il semble que le tir est plutôt dirigé sur notre arrière. Mais voici que les impacts de balles se rapprochent. Ce sont des explosives de gros calibre... Nous sommes cloués sur place... » « Les trajectoires épousent exactement l'arrondi du mamelon, interdisant tout mouvement », indique le JMO. « Je regarde un peu en arrière, j'aperçois des brancardiers qui viennent en rampant chercher des blessés et repartent aussitôt vers le bois », rapporte le caporal Maire. Dans la compagnie, il y a des pertes. Le capitaine Vial lui-même est blessé, légèrement (une balle et un éclat à la jambe gauche), de même que l'adjudant François Essner, le chef de la section de commandement natif de Bourbach (issu du 4e RTS), plus grièvement - il sera opéré de la cheville. Dans la section Caminade, le soldat Charles Pierrot, né à Nancy en 1925, est tué, le soldat Edouard Pericchi, né en 1915 à Toulon, mortellement touché (il décède le 20), Rino Otto blessé. La 2e compagnie n'est pas épargnée par ce feu nourri. Et particulièrement la 3e section du sous-lieutenant Théveneau, qui débouchait du bois pour s'engager sur le pré. « J'ai mis mon FM en batterie, j'ai été blessé au moment de mon intervention d'une balle à l'avant-bras gauche et au pied droit par éclats de mortier », écrit le soldat Jean Bondroit, de Montier-en-Der, issu de la compagnie du Der. « Comme les Allemands relevaient leur tir, nous avaient été cloués au sol sans espoir de se replier, car celui qui levait la tête était mort, ajoute le soldat Robert Tulpin, de Gudmont (groupe Vernet). J'étais en batterie avec mon FM, derrière un arbre, et j'ai été touché d'une balle dans l'omoplate, plaie en séton, et ensuite une quantité indéfinissable d'éclats dans tout le corps. C'était l'enfer, on entendait les blessés gémir... » La plupart des 21 marsouins de la 2e compagnie touchés en quelques minutes appartiennent à la section Théveneau, la plus éprouvée. Sont blessés le sergent Emile Vernet, de Brousseval, chef du 9e groupe (touché au talon), Jules Schneider, de Buxières-lès-Froncles (né à Doulaincourt en 1919, ce chargeur du FM de Robert Tulpin, qui s'était engagé en 1939, est blessé au bras droit par un éclat de mortier), le grenadier Paul Buat, de Montier-en-Der (une balle ayant ricoché qu'il a reçue en pleine poitrine), André Blanvalet, de Marnaval, Michel Dosières, de Chaumont, Lucien Martin, de Fontaines-sur-Marne (touché par un éclat d'arbre), René Tripotin, de Froncles, René Dechanet, de Poulangy... Il y a surtout un tué, le lieutenant Charles Dyèvre, chef de la 1ère section, qui « inspectait avec ses jumelles et a été tué d'une balle explosive de 50 en plein cœur » (Robert Tulpin). De son côté, la section Delattre a la chance de ne pas être clouée au sol, car le bois Planchet forme « une corne qui nous permet d'atteindre plus vite notre but, c'est à dire les premières maisons, témoigne le caporal Seigle... Ayant localisé les mitrailleuses, je demande à Prévot (Henri Prévot, de Rimaucourt) d'ouvrir le feu sur des Allemands embusqués derrière un tas de bois. Malheureusement, nos balles traçantes nous ont fait repérer, mon tireur au FM et les autres hommes du demi-groupe ont eu le temps de se mettre à l'abri derrière un petit talus en bordure du bois. Il faisait certainement office de limite de propriété. Quant à moi, je suis à côté du FM derrière un gros arbre. Nous sommes copieusement arrosés. Par bonheur, le tir mal ajusté passe au-dessus de nous, mais des écailles de bois tombent autour de nous. Deux obus de mortier éclatent à ma gauche et tout de suite, je sens une brûlure au pied droit. J'aperçois un trou de 1 cm dans le talon de ma chaussure, mais pas de trace de sang et mon pied bouge normalement... » Dans sa section, il y a un homme blessé plus sérieusement, c'est Jean Doira, un Meusien de Jametz qui s'était réfugié à Veuxhaulles-sur-Aube (Côte-d'Or). Il ne survivra pas à ses blessures1... « Les minutes sont interminables, et le jour commence à décliner, raconte Jean Maire. Nous ne voyons absolument pas d'où vient le tir et ne pouvons donc pas réagir. Le terrain où nous nous trouvons est entouré de forêts et l'ennemi pourrait nous encercler. Il va bientôt faire nuit. Pour la première fois, je sens la peur m'envahir. Comment allons-nous sortir de ce piège ? » Bientôt, rapporte Guy Seigle, « nous recevons l'ordre de nous replier sur la crête pour permettre un tir d'artillerie ». Un tir qui est exécuté par la CCI, sur les indications du lieutenant Auvigne (de la 1ère compagnie), en direction de l'emplacement supposé des mitrailleuses de 20. Il semble efficace puisque le feu allemand cesse. « Alors on peut distinguer - dans le calme revenu - le ronronnement des chars », rapporte le caporal Maire. Des tank-destroyers, en effet, accompagnaient le bataillon dans sa progression. En raison de la nuit, celle-ci est stoppée. Les hommes creusent des trous. « Au milieu de la nuit, note le JMO, une patrouille de six hommes du 4e bataillon du Lomont, originaires de Bondeval, se rend dans le village et rend compte à son tour qu'il n'y a plus d'ennemis. Ils ont décroché vers 20 h ». Mais pour le 1er bataillon, qui déplore deux tués et 31 blessés (dont deux décèderont), l'entrée dans Bondeval ne pourra se faire que le lendemain. « Nous nous sommes repliés tant bien que mal pour se faire soigner, la section était très éprouvée, raconte le soldat Tulpin. Nous avons été soignés sur place puis évacués par ambulances à Dôle où nous sommes restés quelques jours, puis évacués sanitaire par train sur Montpellier où, après un mois et demi d'hôpital, nous avons bénéficié d'une convalescence... » Un soldat de la 2e compagnie Chabot a été plus grièvement blessé : le soldat Antoine Simons, de Blessonville, ordonnance du lieutenant Chabot. Cet ancien du maquis Duguesclin perdra l'usage de son bras gauche... 18 novembre 1944 Après une nuit « sans incident (...), très froide à minuit » selon le JMO (« Nous n'avons, pour nous couvrir, que nos imperméables qui sont raides comme une tôle ! », confirme l'aspirant Thiabaud, de la 3e compagnie), le I/21e RIC se dirige à partir de 8 h sur Bondeval. « La population paraît un peu abrutie mais nous accueille avec joie », note le JMO. « Les habitants sont sortis pour nous accueillir (...) Les uns nous offrent des pommes, les autres de la gnôle. Les jeunes filles nous embrassent, malgré nos barbes de quatre jours... » (Jean Maire). L'eau de vie « nous fait du bien car depuis la veille, nous n'avons pas mangé bien qu'ayant nos rations avec nous, il est déconseillé de s'alimenter avant et pendant un combat à cause d'éventuelles blessures au ventre » (Guy Seigle). A Bondeval (leur premier village libéré), les marsouins l'apprendront, le tir d'artillerie de la veille a détruit deux des trois mitrailleuses de 20 mm - le JMO parle de 25 Allemands tués.
Source:Club Mémoires 52