[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Hier, Ounoussou Guissé était au saut, affecté à la distribution des parachutes, à Bercheny. Photo DDM, José Navarro
Le brigadier Ounoussou Guissé est à son travail, ce mercredi 14 octobre,
au 1er Régiment de hussards parachutistes (RHP) de Tarbes. Il est au
saut, affecté à la distribution des parachutes. « Il n'y a jamais eu
aucune distance prise vis-à-vis de lui. Il fait partie du régiment »,
indique François Villiaumey, chef de corps du 1er RHP.
Mardi, Ounoussou Guissé a fêté ses 29 ans dans le bureau d'Hervé
Morin. Le ministre de la Défense l'a reçu avec son frère aîné Amara,
qui a servi jusqu'en juin 2008 au 12e Régiment d'artillerie
d'Oberhoffen (Bas-Rhin). L'objet de la réception des deux frères par
Hervé Morin ? L'incroyable contestation de la nationalité française de
ces deux soldats de la République, d'origine sénégalaise, par la
justice de ladite République.
« Au début, je n'y ai pas cru. Je pensais que c'était une erreur
administrative. J'ai pris ça à la légère. Puis, j'ai vu que c'était
sérieux. Là, cela a été très dur. J'ai eu peur de perdre mon travail »,
confie Ounoussou Guissé. En effet, le brigadier Guissé risque une
double peine. La perte de la nationalité française l'obligerait à
quitter l'armée. Seules les personnes ayant la nationalité française
peuvent intégrer l'armée régulière.
Ounoussou Guissé est engagé dans l'armée de terre depuis 2002. Il est affecté au 1er RHP de Tarbes depuis avril 2007.
« J'aime ce métier. Mon père était fier d'être français. La France,
c'est mon pays. J'adore le servir. Je suis prêt à tout pour la France.
Depuis tout petit, avec mon frère, on rêvait de servir l'armée
française. »
Depuis deux ans, le rêve a tourné un brin au cauchemar. La justice
lui a pourtant donné raison en 2008. Il a eu connaissance du jugement
alors qu'il se trouvait en mission en Afghanistan. Mais le parquet a
cru bon de faire appel. « Je n'ai pas ressenti de la discrimination
mais plutôt de l'acharnement… Toutefois, cela n'a jamais remis en cause
mon engagement dans l'armée française », confie Ounoussou.
« Nous non plus, nous n'avons eu aucun doute », confie François
Villiaumey. « Il nous a informés la veille de l'audience en appel. Nous
avons fait remonter l'information au ministère. On a respecté notre
devoir de réserve. Il n'y a eu aucune pression sur la justice. »
François Villiaumey dénonce cependant « le côté absurde de la
procédure. C'est une affaire qui est contraire à la logique, à nos
logiques. Elle a été très blessante pour l'intéressé et pour tous ceux
qui ont pris le même type d'engagement que lui ».
Le colonel Villiaumey indique par ailleurs que le régiment a aidé
Ounoussou Guissé dans sa démarche de rapprochement de sa famille,
installée au Sénégal.
« Le régiment m'a beaucoup aidé. Il a toujours été avec moi. Il a
fait son maximum. » Un soutien qui n'a pas été de trop pour Ounoussou
qui indique que l'épreuve qu'il traverse, au sujet de la contestation
de sa nationalité française, a été « plus dure à vivre », que le
théâtre des opérations en Afghanistan. Le conflit contre les Talibans,
il y était préparé depuis des mois. La remise en cause de sa
nationalité lui est tombée dessus comme un coup de massue.
Maintenant, le soutien d'Hervé Morin l'a rassuré quant à son avenir
en « bleu-blanc-rouge ». « J'ai bon espoir pour moi et mon frère.
Maintenant, jusqu'au 18 novembre, j'aurai toujours un doute. » Si la
justice confirme, en appel, la nationalité française des deux frères
Guissé, la prochaine étape pour Ounoussou sera de gagner le combat du
rapprochement de sa femme et de ses enfants.
Quand la nation renie ses serviteursOunoussou Guissé avait le droit de se faire trouer la peau en
Afghanistan et aujourd'hui, il n'aurait plus le droit d'être français.
Comme son frère aîné Amara qui a aussi porté l'uniforme. La nation
renierait ainsi deux de ses serviteurs. L'affront fait aux frères
Guissé déshonore la République.
Comment en est-on arrivé à cette situation ubuesque, absurde, injuste ?
Ounoussou Guissé est arrivé en France, en provenance du Sénégal, à
l'âge de 17 ans, avec des papiers français, délivrés par le consulat de
France, alors qu'il avait 10 ans. Son père, Daouda, aujourd'hui décédé,
possédait la nationalité française. C'est ce que conteste aujourd'hui
la justice.
En 1960, lors de l'indépendance du Sénégal, les personnes d'origine
sénégalaise demeurant en France pouvaient choisir de garder la
nationalité française. C'est ce qu'a fait le père d'Ounoussou Guissé
qui a obtenu ses papiers en 1962. Il a travaillé pendant 15 ans au
Havre avant de rentrer au Sénégal et a eu des enfants qui étaient donc
français de par « le droit du sang ».
Aujourd'hui, le litige provient d'une jurisprudence récente de la
cour de cassation, laquelle conteste « la nationalité française aux
ressortissants d'anciennes colonies qui avaient opté pour elle et
résidaient sur le sol français, mais dont la famille vivait dans le
pays d'origine », ce qui serait le cas du père des deux soldats.
« En quelque sorte, la France dit à ses ressortissants qu'elle s'est
trompée en 1960 et qu'on va maintenant retirer la nationalité à leurs
enfants », a confié Me Cécile Madeline, avocate d'Ounoussou Guissé, à
notre confrère de « Libération », Jean-Dominique Merchet.
Amara Guissé a reçu, en mars 2007, un courrier du tribunal de grande instance de Strasbourg contestant sa nationalité.
Ounoussou Guissé a comparu le 6 octobre dernier devant la cour
d'appel de Rouen pour tenter de conserver sa nationalité française. Le
jugement a été mis en délibéré au 18 novembre.
état. Le gouvernement réagit enfin.Hervé Morin, offusqué, a saisi
Alliot-Marie et Besson s'en mêleDigne de « Kafka », « saugrenu », « incongru » : le ministre de la
Défense Hervé Morin s'est offusqué, mardi, de la contestation par la
justice de la nationalité française des frères Guissé. Hervé Morin leur
a apporté « tout (son) soutien ». « Ce sont des procédures qui relèvent
plus de Kafka que d'une République qui cherche à réconcilier les hommes
», a-t-il déploré, expliquant avoir « appelé immédiatement » la
ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie pour lui faire part de son
« étonnement ».
« Extrêmement sensible à ma démarche », a-t-il dit, la garde des
Sceaux, « va prendre, je l'imagine, des mesures pour que de telles
situations, complètement incongrues et saugrenues, ne se reproduisent
pas ».
Et « dans l'hypothèse où la justice viendrait à refuser la
nationalité française à nos deux soldats, une nouvelle procédure serait
engagée et leur permettrait probablement de voir leurs droits reconnus
très rapidement », a voulu rassurer le ministre de la Défense. « Je
leur ai dit qu'il n'est pas question de remettre en cause leur
engagement » dans les armées, a-t-il insisté.
Le ministre de l'Immigration Eric Besson a indiqué, mardi soir,
qu'il avait « demandé à ses services de procéder à un examen attentif
et bienveillant » d'une éventuelle demande de naturalisation des frères
Guissé.
Le ministre précise dans un communiqué que le Code civil ouvre trois
voies à Ounoussou et Amara Guissé « s'ils souhaitent obtenir la
nationalité française ».
Comme l'a fait leur frère Mamadou Guissé, en 1998, ils peuvent
arguer de la « possession d'état de français depuis plus de dix ans ».
Ils peuvent aussi demander leur naturalisation auprès de la préfecture
de leur département en demandant qu'il soit tenu compte « des services
accomplis dans l'armée française ». Enfin, « ils peuvent attester de
services exceptionnels rendus à la France ».
SoutienJean Glavany : « Une affaire ahurissante »Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, a interpellé le
gouvernement, mardi, à l'Assemblée, sur le cas d'Ounoussou Guissé et de
son frère Amara. « J'ai rencontré Ounoussou Guissé à l'automne 2008,
dans le cadre d'une mission parlementaire en Afghanistan. Il m'a
demandé de l'aider à faire venir sa femme en France.
Depuis un an, je suis intervenu, dans la discrétion, auprès de
plusieurs membres du gouvernement qui tous se sont renvoyés la balle…
En plus, on lui conteste sa nationalité française. Il gagne en justice
mais le parquet fait appel, c'est ahurissant. » Interpellant le Premier
ministre, Jean Glavany a posé la question qui fâche à l'Assemblée : «
La République est-elle encore la République quand elle s'acharne ainsi
à essayer de reprendre une nationalité qu'elle a accordée légalement il
y a longtemps ».
L'intervention de Jean Glavany a été applaudie à gauche comme à
droite. à l'inverse, les explications du secrétaire d'État à la Justice
Jean-Marie Bockel sur « la possibilité de déposer une demande de
naturalisation auprès de l'autorité militaire » ont été accueillies par
un tonnerre de protestations sur les bancs de l'opposition. « J'espère
que les choses vont se débloquer pour lui et sa famille » confiait,
hier, Jean Glavany.
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