Bientôt la lutte entre Bazeilles et la Moncelle devint d’une extrême
violence, et les bavarois voulurent profiter de leur supériorité
numérique pour aborder à la fois de front et de flanc l’imprenable
villa Beurmann. Mais, bien qu’appuyés par une artillerie contre
laquelle, en raison de la distance, les batteries de réserve du 12e
corps français ne pouvaient rien, ils ne réussirent pas encore à
triompher de l’énergique résistance que leur opposait l’infanterie de
marine. La villa Beurmann nous resta.
Pendant ce temps les
bavarois avaient enfin conquis Bazeilles en ruines. Les vaillants
défenseurs de la villa Beurmann, attaqués de front par la grand-rue,
pris à revers par des compagnies bavaroises qui avaient réussi, en
s’ouvrant avec des serpes un passage à travers les haies, à déboucher
du parc de Monvilliers, venaient d’évacuer la petite citadelle si
bravement et si longuement défendue.
La division de Vassoigne se
replia sur Balan ou arrivait en même temps la division Lacretelle ;
toutes deux s'y postèrent pour tenir tête encore au flot des
assaillants. Une heure après, Bazeilles presque entier était en flammes.
Au nord de Bazeilles, dans une maison isolée qui touche au faubourg
de Balan et qui s’appelle la maison Bourgerie, une poignée d’hommes
s’étaient barricadée et, prolongeant la résistance avec une incroyable
audace, tenait en échec pour ainsi dire un corps d’armée tout entier.
Le 15e
régiment bavarois cernait la maison, fusillait les fenêtres, mais
n’osait cependant pas tenter un assaut. Les défenseurs, dirigés par
trois officiers d’infanterie de marine, le commandant Lambert, les
capitaines Ortus et Aubert, avaient transformé les ouvertures de la
maison en meurtrières par lesquelles ils décimaient les assaillants.
Vainement ceux-ci amènent-ils renforts sur renforts ; vainement leurs
projectiles réduisent-ils en miettes les matelas dont sont barricadés
les fenêtres, labourent-ils les boiseries et les portes ! Des deux
chambres du premier étage, où se tiennent ces intrépides soldats, part
un feu de mousqueterie continu, dont les résultats sont sanglants pour
l’ennemi. Bientôt, cependant, la petite troupe diminue ; les blessés
gisent pêle-mêle avec les morts, sur le lit, sur le sol taché de larges
plaques rouges…Les chambres sont remplies d’une fumée âcre et épaisse
qui asphyxie, les plafonds se trouent et les murs s’éventrent, jetant
partout des débris qui sont autant de projectiles…Le général bavarois,
impatienté de cette résistance prolongée, la fait maintenant réduire
par le canon. Mais voici, pour comble d’infortune, que les munitions
s’épuisent ; on vide les cartouchières des blessés et des morts…Encore
trois coups à tirer…encore deux…encore un ! Celui-là c’est le capitaine
Aubert qui le tire lui-même, tandis que le commandant Lambert, sa
cuisse blessée enveloppée d’un mouchoir, regarde, appuyé sur
l’entablement du bahut placé près de la fenêtre, et que les soldats,
les poings crispés et la figure contractée, attendent, la rage au cœur
de leur impuissance, que la mort vienne les chercher ! Enfin ; le terme
de cette lutte héroïque est arrivé. Le commandant Lambert descend, fait
ouvrir la porte, et s’offrant en holocauste à l’exaspération des
bavarois, présente sa poitrine. Une vingtaine d’hommes l’entourent, en
poussant des cris de haine et de fureur. les baïonnettes le menacent de
toutes parts…Il va être massacré, quand un capitaine bavarois se
précipite entre lui et ses soldats, le couvre de son corps et lui sauve
la vie…Le nom de cet ennemi généreux ne doit pas être passé sous
silence. Il s’appelait Lessignold.
Quant aux survivants de la
défaite, ils étaient quarante à peine, presque tous blessés. On les fit
prisonniers. Le soir, on conduisit les trois officiers au prince royal
de Prusse.
-« Messieurs, leur dit-il, je n’admets pas qu’on désarme d’aussi braves soldats que vous.
Gardez votre épée ! »
D’ailleurs, toute cette défense de Bazeilles est absolument glorieuse.
La division de Vassoigne a perdu là 32 officiers tués, 70 blessés, et
2555 hommes hors de combat. Les bavarois y ont laissé 2500 hommes
environ.
(Extrait de Histoire Populaire de la Guerre de 1870-1871 du lieutenant-colonel Rousset).
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