bonsoir les marsouin
BAZEILLES ET L'HISTOIRE D'UNE PERPETUELLE REMISE EN CAUSELes
31 août et 1er septembre, les personnels des Troupes de marine
commémorent l'anniversaire des combats de Bazeilles. Journées symboles
de l'Arme, Bazeilles se veut avant tout l'illustration des capacités au
feu et de l'abnégation dans l'adversité dont s'honorent ces troupes
depuis leur création. Ces mêmes jours de 1870, la division
d'infanterie de marine du général de Vassoigne, la division bleue, forte
des quatre «vieux» (1), est engagée, au sein du 12e corps d'année ,
dans les combats autour de Sedan. Elle s'illustre en particulier dans
la défense de la petitte localité de Bazeilles où, soumise aux coups de
butoir des corps bavarois ainsi qu'aux incohérences et inconstances
d'un haut-commandement en pleine déliquescence, elle perd un tiers de
ses effectifs en deux jours et ne cède finalement pied que faute de
munitions. Toutefois, s'il leur apporte la gloire nationale, ce vain
sacrifice n'est cependant qu'un épisode parmi tant d'autres pour ces
troupes à l'originalité marquée. Organisées par l'ordonnance du 14 mai
1831, héritières des compagnies de la mer celle des compagnies franches de
la marine du XVIIe siècle, elles offrent, sous des noms divers (troupes
de marine, troupes coloniales, troupes d'outrer-mer), la particularité
de voir, des origines à nos jours, leur avenir périodiquement remis en
cause.
Essentiellement destinées a pourvoir les garnisons
coloniales et placées dans un premier temps sous la dépendance
exclusive du ministère de la Marine, elles s'attirent rapidement les
foudres des officiers de vaisseau inquiets de voir les lois et
règlements de l'infanterie de ligne appliqués de droit aux marsouins.
Si, en raison du prestige qu'elles acquièrent dans les expéditions
d'outre-mer ( Co-chinchine, Sénégal) puis sur le sol national pendant
la guerre de 1870, la période impériale correspond à un premier «âge
d'or» des troupes de marine, c'est justement au moment où elles sont le
plus populaires qu'elles sont, après l'armistice de 1871, les plus
menacées dans leur existence même. Frappée par la réduction drastique
des dépenses d'armement, la Marine prévoit tout simplement leur
disparition en vue de sauvegarder l'essentiel de sa flotte. Du côté du
ministère de la Guerre, la belle conduite de ces troupes fait envisager
un moment leur fusion pure et simple avec l'armée de ligne. Pourtant,
après la signature du traité de Francfort, la France, qui a besoin de
renforcer à tout prix son armée de ligne malmenée par la guerre
franco-prussienne, conserve ses troupes de marine. Pourquoi ? Plusieurs
faits viennent éclairer une possible réponse. Au cours des événements
de la Commune de Paris, les troupes de marine ont été particulière-
ment
appréciées pour leur bravoure et un loyalisme qui fait défaut à
certaines unités de l'armée de Paris. Aussi quand la nécessité s'impose
de mettre en place, dans la capitale, un corps de surveillance acquis à
la République conservatrice, les autorités pensent naturellement aux
marsouins. L'obligation d'assurer la défense des «vieilles colonies»,
où la conscription et les projets de milices coloniales sont
impossibles à mettre en place du fait des rivalités de race, concourt
d'autant plus au maintien de ces troupes que ces dernières montrent
leur efficacité en réglant seules la première crise coloniale de la
Ille République: la révolte canaque de 1878. La dernière grande raison
est bien évidemment le début de la grande aventure coloniale dans
laquelle se lance la France, à la recherche d'un «palliatif» à la perte
de ses provinces d'Alsace-Lorraine. Cette expansion territoriale
requiert une armée spécifique que les troupes métropolitaines, rivées
à la défense des frontières de l'est et de l'Algérie, ne peuvent
fournir. Les troupes de marine constitueront ainsi l'ossature d'une
«armée coloniale». La loi du 7 juillet 1900 vient concrétiser ce projet
et donne naissance aux troupes coloniales. Elles sont désormais
rattachées au ministère de la Guerre, du moins en ce qui concerne les
unités stationnées en métropole, mais conservent leur autonomie. Ainsi
que le précise la loi, «elles restent sous le commandement des
officiers des troupes coloniales et sont distinctes de l'armée
métropolitaine». Dès lors et malgré la faiblesse des moyens accordés
par la «Guerre», les troupes coloniales vont se développer en recourant
en particulier au recrutement local afin de pallier leurs effectifs
insuffisants. Très vite, le nombre des unités coloniales indigènes
égale celui des troupes coloniales blanches. Cet essor est toutefois
mal perçu par les autorités militaires métropolitaines qui vont tenter
plusieurs fois, au cours de la décennie précédant le premier conflit
mondial, d'intégrer les marsouins et bigors dans leurs rangs. Plusieurs
projets de fusion sont ainsi émis mais la «Coloniale» parvient à
subsister grâce à un formidable effort de mobilisation. Créé
spécialement à cette occasion, le journal L'Armée Coloniale bat le
rappel de ses partisans et, sous l'impulsion du groupe parlementaire de
défense des troupes coloniales, appelle les marsouins et bigors de tout
grade à s'unir pour combattre ces funestes projets. Si la violence du
ton employé par les coloniaux, dans les colonnes de ce journal, peut
surprendre aujourd'hui, force est de reconnaître qu'il parvient à son
but et c'est en partie rassurées sur leur sort que les troupes
coloniales abordent la «Grande Guerre». Leur belle conduite au cours de
cette dernière n'empêche cependant pas, la paix revenue, de voir
resurgir «l'hydre» de la dissolution dans la «ligne». Dès 1924, le
projet Barthélémy prévoit la fin de l'autonomie des troupes coloniales
mais, l'accumulation progressive des nuages menaçants dans le ciel des
relations internationales européennes contribue à maintenir ces
dernières en l'état. Engagées dans la campagne de France, en 1940, les
coloniaux y font plus
que leur devoir puisqu'ils perdent, en 47
jours de combat, plus de 20 000 h ce qui correspond sensiblement au 1/5
des pertes totales de l'armée française et ce alors que les troupes
coloniales ne représentaient pas même le dixième des troupes engagées.
De nombreux marsouins sont d'ailleurs les victimes des premiers crimes
de guerre nazis perpétrés en 1940. Plus d'un millier de nos frères
d'armes indigènes, notamment des tirailleurs sénégalais, seront
sommairement passés par les armes après leur capture.
Au lendemain
de la victoire de 1945 à laquelle elles contribuent, les troupes
coloniales sont de nouveau aux prises avec le phénix de la fusion.
Cette perspective apparaît avec d'autant plus d'acuité que les exemples
des conflits Indochinois et algérien, menés conjointement par des
troupes coloniales et métropolitaines qui font preuve d'une égale
valeur et d'une même capacité d'adaptation à ce nouveau type de guerre,
plaident aux yeux des autorités , en faveur d'une absorption pure et
simple de la spécificité coloniale au sein d'une armée de terre en
pleine redéfinition et aspirant à l'uniformité.Ainsi, pendant la
période 1954-1962, bon nombre de services coloniaux stationnés sur le
sol national sont progressivement absorbés par l'armée métropolitaine.
La succession de mesures diverses alliant la fusion ou la dissolution
de certains services et structures et la déflation massive des
effectifs officiers et sous-officiers par voie de changement d'arme
volontaire ou d'autorité, portent un moment à croire que l'avenir des
troupes coloniales, redevenues troupes de marine en 1962, est
définitivement et irrémédiablement compromis.L'entreprise générale de
«dissolution-disparition» menée par les autorités militaires
métropolitaines ne parvient cependant pas à son terme puisqu'une
nouvelle loi réaffirme dès 1967, au grand dam des partisans de la
fusion, la vocation spécifique de ces troupes. Le débat n'est pourtant
pas clos et depuis 1991 les troupes de marine se battent à nouveau pour
leur survie et le maintien du statut de véritable arme que d'aucuns
leur contestent.
Aussi, à l'heure où beaucoup de ses membres doutent
de l'avenir, l'histoire des troupes de marine et des troupes coloniales
nous fournit matière à réflexion et des raisons d'espérer. Souvent
menacée, l'Arme à l'ancre d'or a toujours su faire face et imposer les
nécessités de son existence. Aujourd'hui encore, elle dispose d'atouts
non négligeables. Première arme de l'armée de terre par son taux de
professionnalisation et dotée d'une incomparable expérience des
conflits de toute nature dans lesquels elle a été engagée, la
«coloniale» n'a pas dit son dernier mot. Fiers et forts du soutien
divin, nous osons proclamer à pleine voix : « Et au nom de Dieu... vive
la Coloniale»!
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